Locust
Keff, KEFF, Taïwan, France, USA, 2025o
À Taïwan, Zhong-Han, un jeune homme mutique d'une vingtaine d'années, mène une double vie. Employé dans un restaurant familial le jour, il rackette en bande la nuit pour le compte de parrains locaux. Mais le rachat du restaurant par un homme d'affaires véreux met en danger ses proches, et oblige Zhong-Han à affronter son propre gang.
Il fut un temps où les films de gangsters attiraient les foules. Mais en 2025, l’industrie du cinéma semble ne pouvoir plus tabler sur aucune certitude. Comme le veut l’adage, des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Il semblerait pourtant plus opportun que jamais de discuter des goûts changeants d’un public toujours plus volage. Ambitieux premier long-métrage présenté à la Semaine de la critique cannoise l’an passé, Locust, sorti en France sous le titre de Gangs of Taïwan, a fait un four dans les salles hexagonales. On y retrouve pourtant tous les ingrédients d’un film à succès «d’autrefois»: une métropole asiatique, des petits commerçants soumis à la loi du plus fort, un jeune héros marginal, une romance désabusée, des ambiances nocturnes évocatrices du film noir… On aurait souhaité à Keff, jeune réalisateur américano-taïwanais, de connaître le même succès qu’un Abel Ferrara, dont les débuts prometteurs surfaient sur des motifs similaires. Certes, Locust n’atteint pas les sommets de virtuosité de L’ange de la vengeance ou de China Girl, mais le film est empreint d’un art de la mise en scène à la fois flamboyant et discret – à l’image de son personnage, Zhong-Han, employé muet d’un restaurant familial qui, pour arrondir ses fins de mois, participe à des razzias menées par un petit criminel dont les faux airs de Robin de bois masquent mal son asservissement aux requins de la finance. Lors de ses errances nocturnes, il fait la connaissance d’une caissière de supermarché craquante, immigrée de Hong Kong dont elle suit avec inquiétude le basculement autoritaire. On ne dévoilera rien en disant que ces deux âmes solitaires deviendront des amants de la nuit, et que leur destinée sentimentale – et tout court – sera promise à quelque désillusion: film de gangsters, Locust est aussi un véritable film noir, dont le ton désabusé semble faire siennes les paroles de Johnny Hallyday «Noir c’est noir», ou celles de Leonard Cohen «You Want it Darker». Un film trop sombre pour le public d’aujourd’hui? Certainement pas pour celui de Cinefile!
Emilien Gür
